( :: ) Déboutonnages ( :: )
Plus que d’autres objets, les boutons sont chargés d’une marque de vie. Ouvrir sa boîte à couture, sa boîte à boutons, c’est suivre un fil invisible qui en se dévidant raconte des histoires de vie. Ne dit-on pas que « se déboutonner », c’est parler librement, sans réserve ? J’ai choisi le bouton comme prétexte à la conversation. Voici vos Déboutonnages.
( :: ) François ( :: )
C’est quoi cette matière ? Il tient dans ses doigts un bouton couleur bordeaux.
– De la bakélite, un des premiers plastiques, on en faisait de nombreux objets vers la fin des années 40, début 50.
– Mes grands-parents avaient tenu le Grand Café de La Comédie, situé sur la place de Nogent-le-Rotrou. Je n’ai pas connu cette époque, ils étaient à la retraite lorsque nous allions chez eux pour les grandes vacances.
Ils avaient conservé du mobilier et des objets qui rappelaient le café. Par exemple, ils rendaient la monnaie dans une petite coupelle, exactement de cette matière, et de cette couleur, lie de vin. J’en ai récupéré toute une pile, je ne sais pas quoi en faire, les donner à des petites filles pour jouer à la dînette ?
( :: ) Marie-Thérèse ( :: )
Ce bouton me rappelle les décors en galettes et pointes de diamant des meubles bretons des années 60. Tu sais ces salles à manger aux meubles lourds, en bois sombre, qu’aujourd’hui même Emmaüs ne récupère plus… Ma mère en avait commandé une, elle la bichonne toujours. Quand on ouvre une porte, on doit se munir d’un chiffon pour éviter de marquer la clé en cuivre. Dès qu’un rayon de soleil pointe par la fenêtre, elle protège le bois de feuilles de journaux pour éviter qu’il ne pâlisse. Et je ne te raconte pas les reproches si on a le malheur de piétiner le monumental pied de table avec nos chaussures ! Je me souviens, le jour de la livraison, j’ai aidé à porter un de ses piliers ; j’avais quatre ans, il me paraissait énorme. C’est toujours sur le haut de ce buffet que notre mère cachait, longtemps à l’avance, nos cadeaux de Noël ; pour voir et soupeser les paquets, il suffisait de monter sur l’une des hautes chaises paillées – cela aussi était interdit…
Je pense qu’au-delà du style, ces meubles au décor très chargé plaisaient à ces personnes issues de la classe paysanne ou ouvrière, habituées à gagner durement leur vie, parce qu’elles y voyaient les heures de travail que ces motifs sculptés étaient censés représenter. Plus tard, on a fait faire une garde-robe sur mesure pour ma chambre. On est allé voir un artisan menuisier ; c’est lui qui fabriquait la structure de l’armoire, mais il achetait tout fait, mécaniquement, en série, le décor en galettes qu’il appliquait en placage. Il nous a demandé de choisir le modèle dans un catalogue. Je me rappelle clairement avoir pensé en mon for intérieur que c’était « de la triche ».
( :: ) Viviane ( :: )
Les boîtes à boutons de ma mère et de ma grand-mère abondaient de ces petits boutons de culotte noirs – à cause la généralisation de la fermeture Éclair sur les braguettes des nouveaux pantalons ? Je les trouvais très vilains, certains présentaient des points d’usure et des griffures. Ils avaient si peu de valeur qu’on nous les laissait ; certains d’entre nous leur avaient trouvé une fois par an un usage… malhonnête.
Chaque Noël, était présentée dans un coin de l’église paroissiale une crèche : des personnages de plâtre peint qui figuraient la Vierge, Saint Joseph et le petit Jésus sur son lit de paille, le bœuf et l’âne, sur fond de papier marron gris façon rocher de pierre. Sur la gauche, en retrait des autres personnages, un ange de porcelaine, au visage blanc et aux cheveux bouclés dont le blond s’estompait sous l’usure du temps, vêtu d’une longue robe bleu pâle, « faisait la quête » comme nous disions. De fait, c’était une sorte de grande tirelire d’une vingtaine de centimètres de haut, on glissait sous le cou de l’ange une pièce de monnaie et – merveille ! il nous remerciait personnellement en inclinant plusieurs fois la tête de haut en bas.
Cela marchait aussi bien avec un bouton de culotte qu’une pièce. La petite fille sage que j’étais avait doublement conscience de commettre une malhonnêteté : tricher, ce n’était déjà pas joli, alors que dire de tromper Jésus lui-même sous son propre toit ! Je ne me souviens pas avoir mis de bouton dans la fente ; mais je n’ai non plus empêché personne de le faire. Ce mécanisme, pourtant simple, nous fascinait. S’y ajoutait sans doute le plaisir de la transgression d’une bêtise dans un lieu qui ne s’y prêtait pas.
Elle a dû récolter des boutons de culotte en pagaille pour sa boîte à boutons, la bonne du curé !
Tu connais la chanson La Môme aux boutons ? Elle chante. C’est la môme aux boutons – ton / Aux boutons de culottes / Pauvre môme palotte / Qui vendait sans façon / Qui vendait du bouton – ton / Pour sauver – quelle apôtre ! – / Les culottes des autres / Et gagner son croûton… Et puis elle tombe amoureuse d’un gars qui est dans la fermeture Éclair, perd la raison et meurt de la varicelle avec des boutons sur tout le corps. Il y a aussi un curé à la fin de cette histoire.
(Pour écouter la chanson, c’est ici sur Youtube, par Lucette Raillat)
( :: ) Claire ( :: )
Oh ! Quels mignons tout petits petits boutons en nacre !
Cela me rappelle les vêtements que ma grand-mère tricotait pour mes poupées Barbie. J’aimais bien ses pulls et ses gilets, même si elle ne me laissait pas toujours choisir les laines ni les couleurs ; mais je trouvais les boutons démesurés. Pourtant on fouillait ensemble dans sa boîte à boutons pour en extraire les plus petits, qui étaient toujours cachés tout au fond.
Ceux-ci auraient fort bien fait l’affaire !